Les ombres portées

Tristan Jeanne-Valès

Création 2023

Textes, photographies et musiques : Tristan Jeanne-Valès

Mise en scène : Annie Pican

Jeu : Laurent Frattale
Vidéo et arrangements sonores : Pablo Géléoc

Lumière : Thalie Guibout

avec la participation de Lixie Malingre-Guibout

 

Production : Théâtre de La Rampe, avec le soutien de la Ville de Caen et l’accompagnement de la Cité Théâtre.

Annie Pican - Oh les beaux Jours

Les Ombres portées est un spectacle théâtral imaginé par le photographe Tristan Jeanne-Valès disparu un an avant la mise en scène de la pièce. On le connaissait pour ces beaux clichés sur la danse et le théâtre comme pour ceux capturés lors de ses voyages aux quatre coins du monde. L’homme discret et peu bavard avait aussi le goût des mots pour se raconter subtilement au détour des images.

 

" J’ai photographié la musique : les gueules, les doigts serrés sur l’instrument, les mains qui claquent, la peau animale des percussions, j’ai vu la plainte et le chant profond, la fierté brutale d’être là, la sueur de celui qui joue pour la nuit, pour moi, pour eux, pour lui.

J’ai photographié la danse. J’ai vu la sensualité : pas ou peu de paroles, les corps se frôlent, se toisent, se touchent, lumière et pénombre, la peau.

Aux quatre coins de la France et pour la Comédie de Caen longtemps, j’ai photographié le théâtre..  J’ai vu le geste et la parole donnée, la mise en œuvre têtue du texte sous les lumières.

J’ai fait de nombreux portraits, commandes, rencontres fortuites ou choix personnels : écrivains, peintres, cinéastes, musiciens, j’ai vu et j’ai pris leur regard, leur talent, leur folie.

J’ai beaucoup voyagé.

J’ai soixante-six ans. 

Je ne suis plus photographe. 

Je suis photographe. La ballade est sans fin.

J’écris, j’écris sur mes images. Mes images : je veux les voir lues, je veux les voir dites. Leur donner corps il est temps. "

Tristan Jeanne-Valès.




Tristan Jeanne-Valès …porté sur scène.

Par René Fix

 

Vous avez jusqu’à demain soir ( 19h au Studio 24 - l’ancien Panta) pour découvrir Les Ombres portées, un spectacle autour de la figure du grand photographe Tristan Jeanne-Valès, disparu récemment.

 

Le terme de spectacle -hommage serait maladroit et injuste d’ailleurs, pour définir ces cinquante minutes où se mêlent photos, voix et jeu théâtral. Conçu à l’origine par le photographe, il s’agissait de « mettre en scène » un dialogue entre des photos sélectionnées par Tristan et commentées, mises en contexte par des mots posés par le photographe lui-même, quelques temps avant de nous quitter. Nulle trace de mort, de nostalgie ou de regret dans cette initiative mais un troublant mariage avec le théâtre, quand on sait combien Tristan Jeanne-Valès entretenait un rapport ambigu avec ce théâtre qu’il aura pourtant photographié avec tant de grâce.

 

Annie Pican, la complice originelle de ce dernier projet, donnera corps à ce projet et avec Les Ombres portées nous propose la forme scénique qu’on sent proche du rêve de Tristan.

 

Laurent Frattale, un comédien qui a débuté sa carrière à Caen, se glisse dans le corps et la voix de Tristan. Plongé dans une pénombre qui rend justice aux photos délicatement projetées sur six écrans latéraux et qui détaillent parfois une grande image exposée sur un grand écran au lointain, Fratalle donne aux commentaires sensibles du photographe l’épaisseur grave mais contenue d’une sorte de berceuse. Sans appuyer ou commenter à son tour les anecdotes ou les aphorismes du photographe, il se « contente » avec un tact indicible de faire une voix qui entre parfois en écho avec la voix du photographe lui-même. On échappe ainsi au pathos pourtant excusé par avance pour cette équipe ( avec le vidéaste Pablo Geleoc) choisie par Tristan Jeanne-Valès. Si l’émotion est là elle est contenue et sans cesse  tenaillée par la mise en scène sobre et juste d’Annie Pican. Les déplacements du comédien obéissent à des logiques que les photos diffusées font comprendre et nous font aussi voyager, en mots et en images, entre Lisbonne, l’Irlande ou les Balkans, des espaces rudes et chargés d’histoire qui illustrent si bien ce grand « taiseux » bougon qu’était Tristan. Aucune compassion formelle, aucune grandiloquence, aucune fioriture esthétique pour tenter de donner à ces Ombres portées une forme chic mais plutôt une démarche sincère et juste, toute entière marquée par cette volonté de maintenir un équilibre fragile entre recueillement poétique et amour partagé. 

 

Pas besoin d’avoir connu cette grande figure caennaise pour aller voir Les Ombres portées, nul besoin aussi d’aimer la photographie, le théâtre puisqu’il suffit de se laisser porter par ces ombres, parfois noires ou blanches, parfois en couleurs et qui, avec les dernières paroles de Tristan trouvent ainsi une évidence encore plus juste, encore plus intime. Une manière douce et tendre d’entrer dans une vie …d’artiste.

 

 

© Théâtre de la Rampe / 2024 - Crédit photo de la couverture : Bertrand de La Sayette.